(Butch) Cassady et le kid

L’incomparable Neal a été l’inspirateur de l’emblématique Jack Kerouac.
Beaucoup d’écrivains phares ont eu un maître en art de vie, avant de devenir écrivain, comme s’ils avaient eu besoin d’avoir un modèle avant de voler de leurs propres ailes. Pour Jack Kerouac, ce fut Neal Cassady. Auparavant, Soupault fut fasciné par Arthur Cravan. Breton par Jacques Vaché. Et puis, Boris Vian par Jacques Loustalot, dit le « Major ». D’autres encore. On pourrait en dresser le catalogue. La rencontre entre Cassady et Kerouac eut lieu en 1946. Face à face, ils éprouvèrent un effet de miroir. Neal crut se voir en Jack, et lycée de Versailles. Question écriture, Kerouac avait lu les lettres d’un gamin qui semblait avoir la biographie d’un Rimbaud avec un zeste de Jean Genet : on disait du jeune taulard qu’il avait volé plus de 500 voitures ! La légende disait qu’il était un grand séducteur de la gent féminine : Simenon pouvait aller se rhabiller. Neal Cassady est devenu la pierre de touche de plusieurs jeunes gens qui voulaient se confronter à lui pour voir s’ils étaient à la hauteur. Après les Dadaïstes et avant les Beatles, icônes du mouvement hippie, la Beat Generation va donner le bon tempo à la jeunesse. Bien sûr, il ne suffit pas de fumer de l’herbe et de se biturer pour avoir du talent. Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs ont donné des grands livres inspirés des brouillons de Cassady. Ces garçons faisaient tout ensemble : ils s’aimaient physiquement et intellectuellement. Les lettres de Cassady nous permettent de retrouver le leader que beaucoup de lecteurs ne connaissent pas. Il faut saluer le pionnier Neal Cassady (1926-1968) qui adorait la littérature et le sport. Dire qu’en 2014, des grincheux pensent que c’est un mauvais mariage ! Kerouac aussi aimait autant lire que jouer au football américain. Sans une grave blessure, Kerouac aurait fait une grande carrière de sportif. Le sport leur plaisait plus que les cénacles littéraires tout comme Albert Camus qui aimait davantage le stade de Colombes que le Flore.
À 15 ans, Cassady lit Proust entre deux placages, au sens propre et figuré. Il est toujours à deux doigts de devenir soit une sorte de Scott Fitzgerald voire un Jack London ou un nouvel Al Capone. Toutes les lettres écrites à ses amis dévoilent une personnalité aussi directe à l’écrit qu’à l’oral. Il avait tant de caractère qu’au lieu de passer à l’acte et de laisser une œuvre dense, il a préféré mettre tout son brio dans sa vie. Au lieu d’inventer des personnages dans des fictions, il est devenu le héros des livres de ses amis. On le reconnaît sous les traits de Dean Moriarty dans “Sur la route”, et de Cody Pomeray dans “Visions de Cody”, deux livres majeurs de Kerouac. Ceux qui se croient libérés sexuellement savent-ils que Neal Cassady a été l’amant de Ginsberg avant de se marier avec Carolyn qu’il a mise dans les bras de Kerouac ? Cassady était partageur. Dans ses lettres, il y a du rythme et de l’émotion, un langage cru, une expérimentation des sens. C’est un temps de l’humanité. Il fallait le faire, ils l’ont fait. Bien sûr, chaque génération ignore la précédente – je parle des ignorants qui croient être Jacques Rigaut alors qu’ils ne sont que des épaves sans gouvernail. Cassady a commis des excès qu’il a payés cher. Il n’a pas fait de vieux os, mort à 42 ans.
Ce ne fut pas un écrivain raté. Vaut-il mieux vivre bêtement et laisser quelques livres, ou cramer son existence avec brio sans rien laisser ? Le véritable écrivain est peut-être celui qui vit l’écriture à l’air libre. Rimbaud a très tôt cessé d’écrire. Cassady a écrit dans l’espace, et ce fut magnifique. Il appartient aux grands écorchés vifs, de la dimension de Klaus Mann. Parfois, il n’est pas obligé d’écrire beaucoup pour laisser un grand souvenir. Theodore Fraenkel, en n’écrivant rien, est sans doute le plus authentique des Dadaïstes. Dans ses lettres, il est présent de partout. Vivre 42 ans pleinement c’est plus fort qu’accomplir 90 ans de simples fonctions digestives. On attend le second tome de somptueuses lettres (1951-1967) à paraître en 2015. Pendant ce temps, on va essayer de vivre de la meilleure façon possible. Seul compte la perception des jours qui passent. Il n’y a rien à jeter. Il ne faut pas suivre le calendrier. Chaque jour est une fête. Devenir vieux peut être un jeu supplémentaire. Le temps a bien quatre saisons. « Un truc très beau qui contient tout » ? Pour le vérifier, il suffit de lire ce livre avec une couverture papier buvard. Qui éponge tout, comme Neal Cassady.
B.M.
Un truc très beau qui contient tout (Lettres 1944-1950), de Neal Cassady. Traduit de l’américain et présenté par Fanny Wallendorf. Finitude, 336 p., 23 €.
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