Chanel au Panthéon

Et si le bon Monsieur Hollande freinait un peu sur les sucreries ?
Il paraît que le président de la République cherche à peupler le Panthéon. Très bonne idée. Pour l’instant, il réfléchit. On sait que cela risque d’être long. François Hollande est ceinture noire de tergiversation. A force de ne pas vouloir réveiller les ardeurs râleuses de l’extrême-gauche, il semble souvent s’assoupir lui-même. Quand il prend enfin une décision, tous les 36 du mois, elle semble en général aussi délayée que le café américain. Cela dit, s’il souhaite à son tour bricoler dans le mémoriel, tant mieux. Et qu’il tâche donc de sortir des sentiers battus ! On en a assez des écrivains bien-pensants, des hommes politiques humanistes et des militaires tapissés de médailles. S’il s’agit de rendre hommage aux personnalités qui donnent son éclat à la France, l’Elysée pourrait, par exemple, piocher dans le vivier de la mode. Quinze noms connus sur les cinq continents viennent tout de suite à l’esprit mais, puisque la tendance est à choisir une femme, Coco Chanel s’impose. Elle se tenait là, droite, nerveuse, métallique, tendue comme la flèche prête à quitter l’arc. Elle cultivait une belle sensibilité à la Robespierre. Elle était mince comme un crayon et pensait qu’il n’y a que deux saisons, le printemps-été et l’automne-hiver. Elle était odieuse et fascinante et, sous l’Occupation, elle n’a pas eu le bon goût de retenir son souffle pendant cinq ans.
Seulement voilà, c’était Chanel et elle incarne avec une classe et un génie incomparable l’esprit français et le goût parisien – deux vertus mal vues à la maison mais qui font tout notre charme aux yeux du reste du monde. Un tailleur Chanel, c’est comme une fugue de Bach, cela ne sert à rien, on est aussi chaudement vêtu avec une robe de roumaine. Or c’est ce rien qui fait tout le sel de notre civilisation. Et le poivre, car la redoutable Coco assaisonnait ses créations de commentaires acides et féroces sur l’époque et sur la société. Mais la morale n’a rien à voir avec le talent. Il y a de sales buveurs d’eau et d’exquis ivrognes, de méchantes bonnes consciences et de charmants monstres. Chanel était réactionnaire et provocatrice, mais elle était géniale. Elle a fait cent fois plus pour notre renommée que tous les petits noms qui circulent, sortis des missels de la bonne gauche paroissiale. En plus, elle ne se battait pas la coulpe et ne présentait pas d’excuse, elle avait mieux à faire : inventer un style. A François Hollande, si elle l’avait connu, elle n’aurait pas eu grand-chose à dire, sinon de freiner sur les sucreries. Mais que lui, aujourd’hui, l’invite au Panthéon, ce serait lui donner à elle une leçon d’élégance. Et ça clouerait le bec à tous ceux qui ironisent sur ses noeuds de cravate et ses manches de chemise.
G.M.-C.