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Le film du mois: « The Master »

Le film du mois: « The Master »

Il y a des jours où l’on n’a pas l’impression de faire le même métier que d’habitude. Ce mois-ci, ô joie, nous allons parler de Paul Thomas Anderson. Cela change du traintrain. On aurait presque envie d’utiliser une encre différente. Les mots devraient ici avoir une sonorité nouvelle. On sait, depuis “Magnolia”, que Anderson est un génie, le Orson Welles du siècle vingtième finissant. Après “There will be blood”, “The Master”, hisse les couleurs encore plus haut.

On sort de la salle les jambes molles, les lèvres bleues, la tête ailleurs. Il nous a eus, avec son histoire de gourou et de disciple récalcitrant dans les années 50. Joaquin Phoenix, amaigri, halluciné, a combattu dans le Pacifique. Cet alcoolique a du mal à revenir à la vie civile. Son métier de photographe tourne court. Tomber sur Philip Seymour Hoffmann tombe pour lui à pic. Qu’est-ce que c’est que cette espèce de secte, ces séances d’hypnose, ces interrogatoires à répétition ? Entre les deux hommes se noue une étrange relation. Les cocktails que prépare le chien fou n’y sont pas pour rien. Ils sont parfois à base d’essence et de détergent. « God ! », s’exclame le redoutable manipulateur en reposant son verre. C’est un peu l’effet que fait le film, un choc, quelque chose d’inconnu, de sidérant, la certitude d’avoir devant soi une oeuvre d’art, un morceau de pure beauté. Il paraît que le sujet s’inspire des débuts de la scientologie.

Pourquoi pas ? L’essentiel n’est pas là. Il réside dans ces séquences où deux personnalités se cherchent, se percutent. Il faut renoncer à compter les scènes d’anthologie, la statue de sable sur laquelle s’excite un Phoenix inquiétant, Hoffmann dansant dans un salon tandis que des femmes nues l’applaudissent en rythme, le détenu bousillant les WC de sa cellule à coups de pied. Anderson domine sa génération de plusieurs longueurs. Il filme le sillage d’un bateau et on dirait que c’est la première fois que quelqu’un fait ça au cinéma.
E.N.

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