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Dur d’être francophile quand on aime la France ! De Leys à Nothomb

Dur d’être francophile quand on aime la France ! De Leys à Nothomb

simon leys 93

Numéro 93 – Franc-parler

 

En décembre dernier, l’Académie de Langue et de Littérature françaises de Belgique recevait Amélie Nothomb au fauteuil de Simon Leys, alias Pierre Ryckmans, Bruxellois pur sucre émigré en Australie. Elle lui avait été présentée dès son plus jeune âge à Pékin par son père, ambassadeur de Belgique. Ce souvenir s’imposait comme base de l’éloge qu’il lui appartenait de prononcer. L’impétrante ne dit cependant moindre mot sur la raison de la présence de Leys à Pékin à la fin du règne de Mao. C’est pourtant par ses travaux de sinologue que Leys aura marqué son temps. L’Histoire retiendra qu’il fut le premier à dénoncer les crimes du maoïsme, tout à fait comparables à ceux de Staline. Quand parut en 1971 aux éditions Champ Libre Les Habits neufs du président Mao, nombreux intellectuels français en quête, depuis le Café de Flore, d’une nouvelle patrie prolétarienne, exprimèrent leur hostilité. L’opposition la plus virulente émanait de la revue Tel Quel de Philippe Sollers dont le culte du Grand Timonier lui conférait une sorte de gauchisme mondain qu’il nourrissait pour bâtir sa carrière littéraire. Il mit trente ans à reconnaître humblement (à supposer que l’humilité ne lui soit pas étrangère… Disons plutôt discrètement…) que Leys « avait raison ». Seuls en ces années post-soixante-huitardes, Etiemble et Jean-François Revel défendaient le dénonciateur des crimes.

 

La grande majorité de l’intelligentsia préférait avoir tort avec Maria-Antonietta Macchiocchi que raison avec Leys. Jusqu’à ce soir du 27 mai 1983 où, lors de l’émission Apostrophes, Leys moucha la passionaria napolitaine, députée communiste et référence courtisée sur ses connaissances de la Chine et de sa Révolution culturelle. La charge fut vive et sans appel. Ce fut la seule fois, aux dires de Bernard Pivot, où les ventes des livres de Macchiocchi baissèrent considérablement dans les librairies dès le lendemain de l’émission. Amélie Nothomb n’avait pas encore 17 ans à cette époque-là. Elle ne regarda peut-être pas l’émission mais elle en entendit sûrement parler. Du reste, un petit voyage sur Internet nous montre encore aujourd’hui le K.O. digne d’une patte de Cassius Clay qui provoqua le séisme germanopratin. L’assistance bien-pensante du Palais des Académies de Bruxelles n’eut donc pas droit au ressouvenir. Pourquoi ? Peut-être parce que depuis lors, le papa d’Amélie lui apprit que Simon Leys fut un agent de la CIA… Ah ! Rien n’est simple n’est-ce pas ? Mais par bonheur, ce sont toutes ces facettes et ces méandres de la vérité qui alimentent l’imagination d’un romancier. Cet oubli, freudien ou non, lui sera pardonné. Ça ne vaut pas un pamphlet. Dommage, le titre était déjà trouvé : “J’irai cracher sur Nothomb !”

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J.-P. B.

 

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