Dear Miller

François Cérésa a fondé, et dirige depuis 2008, le mensuel…
Réédition de deux beaux romans du génial et inclassable Miller.
Quand Norman Mailer dit qu’Henry Miller n’est pas un écrivain social, mais un écrivain sexuel, il n’a pas tout à fait tort. On peut voir Miller comme une sorte de Woody Allen séminal, travaillé par le coït, cornard en puissance, à la fois Arlequin et matamore. Ce type qui a écrit “Sexus”, “Jours tranquilles à Clichy” et les “Tropique”, odyssées génitales où les organes d’un Ulysse obsédé par le pieu de Polyphème se confondent parfois avec l’hystérie de sciences parallèles (Miller se passionnait pour l’astrologie), a aussi signé l’incroyable “Diable au paradis” et le formidable “Colosse de Maroussi”. On ne refait pas son Miller. Cet admirateur de Céline qui aime panacher la fiction et l’autobiographie, féru de crudité verbale, gentleman prolo, la dalle en pente, papa putatif de ce vieux Buk, rigolo francophile cocufié par cette salope de June, enfumé par l’ensorceleuse Anaïs Nin, n’arrête pas de se raconter dans le lyrisme et de rendre lyrique ce qu’il a du mal à raconter. On biche. Dans “Crazy Cock”, le foutriquet Henry, pas encore Miller (nous sommes en 1920), assiste impuissant aux ébats de sa femme June et d’une sémillante goudou qui lui brise le cœur. Miller est un gars qui chancelle.
Hésitant, bravache, pusillanime, il se demande ce qu’il fabrique dans un monde qui marche de traviole. Il donne alors de la voix. Eros se prend pour Mars. Praxitèle côtoie Pétrone. Cela donne ce fameux “Colosse de Maroussi” où l’auteur, en Grèce, invité par Lawrence Durrell en 1939, se sent devenir conteur, poète et jouisseur. Ces deux ouvrages tendent à prouver que Miller ne se démode pas. Durrell écrira que « la voix de Miller n’en finit pas de résonner dans la littérature américaine d’aujourd’hui ». Chez nous aussi. Cette voix préfigure un opéra. On devine Fante. L’obscène se met en scène. Il se bidonne. Falstaff se tape un double mojito au Scott. On aperçoit sa gueule de vieux bébé conservé en fût de chêne au croisement Montparnasse-Delambre. Queneau et Cendrars ne sont pas loin. Hemingway traîne au Rosebud. Le cauchemar climatisé n’est pas un big dream. Croyez-moi, on n’est pas dans l’anodin. C’est du Miller. Et du meilleur.
F.C.
Crazy Cock, d’Henry Miller, Belfond, 320 p., 18 €.
Le colosse de Maroussi, d’Henry Miller, Buchet Chastel, 312 p., 21 €.
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François Cérésa a fondé, et dirige depuis 2008, le mensuel de l’actualité romanesque « Service Littéraire », Le Journal des écrivains fait par des écrivains. François Cérésa est journaliste. Il a dirigé le Nouvel Observateur et rejoint Le Figaro. Il est critique gastronomique, chroniqueur sportif et écrivain. Il a reçu de nombreuses récompenses pour ses romans : les prix Paul-Léutaud (La Vénus aux fleurs, Robert Laffont), Jean-Freustié et Charles-Exbrayat (La femme aux cheveux rouges, Julliard), Joseph-Delteil et Quartier-Latin de la Ville de Paris (Les amis de Céleste, Denoël), Cabourg (Les moustaches de Staline chez Fayard).