Devenir réac de gauche

Désolé pour le « moi je » mais c’est la règle de ce jeu. Au premier vote par le suffrage universel, j’étais aux urnes, ému. J’ai donc, en 65, voté Barbu (Marcel), et pleuré avec les 277 652 « chiens battus ». Ensuite, j’ai toujours été cocu. Un Rocard sinon rien. Faute d’avoir pu être mendésiste, j’étais rocardien. Je comprendrais l’expression « par défaut », merci Mitterrand. Et compatirais, de Delors en Jospin, aux sorts des losers de cœur jusqu’à DSK, le suicidé du Sofitel, responsable de l’avènement d’un autre François, le « par défaut » idéal. Bref, la seule fois où j’ai voté à droite, mon candidat a fait 82 %, Chirac était roi. Oui mais voilà, j’étais protégé par ma sensibilité, ouvrez les guillemets, « de gauche », ce qui, dans la presse, s’imposait. Toutefois, aux premiers voiles déchirés, troublé, j’avais changé de Badinter, Élisabeth m’accueillerait, ma gauche passerait deuxième.
Il n’empêche, abonné depuis des lustres au Nouvel Obs, lecteur de mon Libé quotidien, je me sentais en famille dans le camp du bien. Et résistais à la tentation de penser mal. Pourtant, çà et là, je redoutais l’implacable : « Tu fais le jeu du Front National ». J’avais beau abhorrer le cyclope, avouer mon amour pour le Front de Mer et narguer la Marine, j’étais suspect. Dans Le Monde, toujours au quotidien, j’avais relevé les bus et les pompiers caillassés, les médecins et les gaziers apeurés. En 2005, bonsoir les émeutiers, sommet de la victimisation et de l’excuse, j’apprendrais qu’une maternelle saccagée était une « prise de parole ». Et que le « pas d’amalgame », dont je m’amusais, était un mot d’ordre. Avec ça, gare aux mots, interdiction de nuancer. La liste des « il ne faut pas » (stigmatiser, discriminer, ostraciser, essentialiser, globaliser), sur les ondes, faisait loi. Sans oublier « ghettoïser », injure à l’histoire, et « apartheid », excès assumé.
Il était temps, aux frontons des mairies, d’ajouter à notre trilogie sacrée : Laïcité, Responsabilité. Car j’étais devenu un laïque intégriste. Et la tragédie de Charlie, blasphème je t’aime (les assassins ont gagné : avez-vous lu la moindre dérision après « bousculade à La Mecque, 1501 morts ? »), m’a saisi, pardon pour l’islamophobie, tendance Malek Boutih. A présent, allons-zenfants du Bataclan, de guerre lasse, je suis Terrasse. Hier ami d’anars de droite (salut Antoine), je me retrouve réac de gauche auprès des Finkielkraut, Debray, Bruckner, Onfray, bonne compagnie. Et m’apprête à voter, résigné, pour la troisième gauche, celle de Valls et Macron. Cons se le disent.
C.M.