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Droit de visite aux USA

Droit de visite aux USA

Les nouvelles au cordeau de Stuart Nadler révèlent un incroyable don narratif.

Lauréat du Truman Capote Fellowship, Stuart Nadler s’offre à nous comme le surgeon d’un immense arbre de vie, toujours plus fécond : les États-Unis. Les nouvelles qui forment ce recueil nous invitent à partager plusieurs séquences de l’existence d’Américains triés sur le volet de son don narratif. Avec, chez lui, sinon une dominante, une composante importante qui leur est commune : l’appartenance au judaïsme qui, à travers toutes les contradictions des humains, vient accréditer le principe communautariste fédérant la société outre-Atlantique. Venant ponctuer le quotidien de ses personnages, les références allusives aux temps forts du calendrier hébraïque se multiplient au fil du texte : en de telles occasions, entorses familiales ou sentimentales surgissent volontiers et augmentent le tissu de chaque histoire de leurs alluvions, souvent cruelles.

Des pieux mensonges de la première nouvelle qui (à tort, d’ailleurs) donne son titre à l’ensemble, suivie de l’affrontement de deux frères à la mort de leurs parents – qui les sépare bien plus qu’elle ne les rapproche – aux visions bien arrosées et discordantes de “Sur la lune”, en passant par la construction chargée à l’excès de la glauque intrigue de “Catherine et Henry”, à laquelle succède l’épisode riche et subtil de “Notre partage, notre rocher”, pour conclure par “Plus que béni”, confession émouvante d’un très vieux rabbin que ses adversaires ont réussi à démettre de ses fonctions après d’interminables et sordides guerres d’usure, avec un aveu final tellement inattendu qu’il en devient une superbe profession de foi, l’auteur déploie une écriture remarquablement maîtrisée. Mais c’est dans “Droit de visite”, l’avant-dernière de ces histoires que culmine son talent si évocateur : il y relate l’après-midi d’un père divorcé qui emmène son rejeton de quinze ans rendre une ultime visite à son propre père, condamné par la faculté, alors qu’ils sont à couteaux tirés depuis des lustres ; l’aïeul accueillera brièvement son petit-fils, qu’il charge d’un salut pour l’intrus resté obstinément dans la voiture, ainsi commenté par l’adolescent : « Il ne viendra pas. Tu peux te détendre. » Comme quoi en famille, on s’arrange toujours. Même mal. Déjà repéré outre-Atlantique, où il a été distingué en 2012 par la National Book Foundation, sept nouvelles ont suffi à Stuart Nadler pour réussir brillamment sa percée dans l’édition française.
A.M.

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Le livre de la vie, de Stuart Nadler, traduit de l’américain par Bernard Cohen, Albin Michel, 274 p., 22 €.

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