Entre Genève et Lyon

Un petit viron stendhalien, teinté de Dumas, avec son “Voyage dans les Alpes”, pour débouler dans un estanco helvétique au blaze cup of tea : le Windows, à l’hôtel d’Angleterre. Déco rococo, légèrement proustien, avec vue sur le lac, et sur le claque, attendu que ça emballe sec dans le bar du restau, le Leopard (groâ !), le tout avec les recommandations d’un louftingue de l’hôtel voisin : « C’est l’une des meilleures ta-a-a-bles de Genève ». Accent qui godille entre les bosses, « douceméent, c’est tout béon ». Eh bien non, ce n’est pas béon, le zorglub n’avait pas les rustis en face des trous, la bectance ne vaut pas une broque. Entre l’amuse bouche microscopique (c’était quoi, au juste ?), le foie gras dé à coudre planqué sous des feuilles à limaces (indigne de ce nom), les deux lichettes de calamar à la tomate, caoutchouteux et mal assaisonnés, tout cela pour la modique somme de quatre vingt dix euros (!), sans compter le rasteau à 150 € (le moins cher des vins de côtes du Rhône !), on se creuse la penseuse, à l’instar du prétentieux Montebourg, et on se demande si les Suisses ne nous prennent pas pour des agates. Pour les ceusses qui ont le morlingue Cahuzac et le caldé Strauss-Khan, direction le Léopard et les reines de l’asperge, d’Argenteuil ou de Perthuis, histoire de dédier un souvenir ému au créateur de l’Académie de Genève, le calviniste Théodore de Bèze (le bien nommé), afin de prouver que Genève et son jet séminal ne sont pas qu’un vaste luna-park à l’ombre du Mont Blanc, revu et corrigé par la banque, la finance, les tocantes, la grande Lulu et les recettes du père Zobi.
Hôtel d’Angleterre, Windows, Quai du Mont Blanc, 1201 Genève, Suisse, 41 22 906 55 14. Carte : 120 €.
Directo Lugdunum, sans passer par le Blanc de volaille de Vonas, afin de plonger dans une ville éclairée par son Rhône, sa Saône, ses rives florentines, son magnifique Musée des Beaux-Arts, ses femmes nues dignes de Véronèse, ses affreux Soulages, ses Jordaens qui jouent de l’estompe et de l’estampe, son Saint-Just qui meurt d’envie d’envoyer Hollande sur la bascule à charlot. Et là, après avoir englouti une ventrée de Rubens et de Tintoret, on oblique rue Royale, à l’assaut d’une légende gastronomique : la Mère Brazier. Attention les avortons, c’est bas de plafond, on se bigorne la terrine à tous les coins de poutre. Justement, en parlant terrine, le pâté en croûte est un délice, digne du sieur Pacaud (l’Ambroisie à Paris), élève de la Brazier par le passé, exécuté par Mathieu Vianey, un chef comme on les aime, qui, rien que pour ce subtil équilibre veau, canard, truffe et foie gras, mérite ses deux macarons. La suite est impériale. Ris de veau et homard, quenelle de brochet au lissé de cul de jeune fille. Intutile de se décarcasser la boîte à ragoût, c’est fin, goûteux, copieux, onctueux à souhait, digne du grand Ducloux du restaurant Greuze à Tournus. On prend son taf, on tartine des bijoux. Contraste évident avec ce Windows de Genève, emblématique de cette génération de chefs à la noix qui découpe au laser cent petits étrons de ceci et de cela, mêlés d’épices inconnues et de légumes mystérieux, de rhétorique à se mordiller les agobilles, pour nous faire croire que c’est créatif. La cuisine doit avoir le goût de l’opulence et l’opulence du goût. Le produit (!) serinait Loiseau. On aboule du tournevis. L’esthétique de tous ces Braque de la mini portion nous encrasse le thermostat.
La Mère Brazier, 12 rue Royale, 69001 Lyon, 04 78 23 17 20. Menu : 35 €. Carte : 120 €.
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