Et puis quoi encore ?

* Écrivain, ancien magistrat, conseiller judiciaire, vient de publier :…
Tous ces citoyens qui prétendent se mêler de ce qui les regarde sont vraiment insupportables. Comme si on invoquait en permanence le peuple pour qu’il prenne son rôle au sérieux !
Il n’a pas encore compris qu’il était une caution, une commodité de langage, une suavité républicaine, une manière de combler les vides dans les discours ? Il n’a pas perçu que plus on le flattait par le verbe, moins on souhaitait son irruption dans la réalité ? Trop grossier pour être invité à la table des raffinés, trop vulgaire et sommaire pour faire partie des élus.
On ne lui demande pas de donner son avis, tout au plus d’approuver celui formulé par les gens de goût, l’élite qui sait, décide et arbitre. Prétendrait-elle, cette masse ignorante, s’immiscer dans un débat qui évidemment la dépasse de très loin, on lui assènerait avec mépris ou une condescendance amusée le reproche d’être populiste et de ne savoir rien appréhender de la complexité du monde, des affaires, de la politique, de la culture, de la justice et, tout simplement, de la vie ! Au nom de quoi, parce qu’on n’est pas privilégié, on mesurerait mieux que ceux qui possèdent les affres de l’existence et l’épouvantable condition de beaucoup ? Il faut arrêter de donner une prime à l’infortune parce qu’elle serait lucide, un handicap à l’opulence parce qu’elle serait comblée. Le peuple doit demeurer une idée désuète en Europe, un concept démodé. Récemment, du 5 au 7 mars 2013, un sondage sur “les Français et la Justice” – Observatoire CSA/Institut pour la Justice – a établi que 92% des personnes consultées souhaitaient un droit d’appel pour les victimes, 70% la construction de 20000 places de prison et 77%, le maintien ou le renforcement des peines plancher.
Une analyse forcément superficielle pourrait laisser croire qu’un consensus s’est dégagé pour une Justice plus ferme, plus protectrice des citoyens, plus équitable à l’égard des victimes. Mais il convient de ne pas se laisser abuser par ces données faussement incontestables, ces chiffres tristement rétrogrades. Aussi bien l’intelligence politique que la morale civique ne peuvent qu’inciter nos responsables, nos gouvernants si sûrs d’être dans le bon chemin quand ils se détournent de celui de la majorité à fuir ces sornettes objectives pour accomplir précisément le contraire de ce qu’elles osent manifester. La ligne directrice est claire. Non pas construire de nouvelles prisons mais les vider. Non pas maintenir les peines plancher mais les abolir.
Non pas donner des droits aux victimes mais leur enjoindre de demeurer à leur place. Comme il est facile de voir juste pour un Pouvoir : il lui suffit de faire le contraire de ce que l’espérance populaire appelle. Les citoyens auront leur mot à dire. Après. Au bout de cinq ans. Puis ils retomberont dans l’anonymat glorieux de la démocratie représentative. J’ai comme un frisson rétrospectif. Quelle catastrophe si on s’était résolu à remplacer le singulier des spécialistes par le pluriel des « honnêtes » gens, si dans les festivals, dans les remises de prix, dans les élaborations législatives, dans les choix décisifs pour un pays on avait fait entrer dans la pièce ceux qui sont laissés dehors parce que, sinon, ils dérangeraient ? Et si le dérangement d’une République par le peuple était sa chance et même son honneur ?
P.B.
* Écrivain, ancien magistrat, conseiller judiciaire, vient de publier : “Aux larmes, citoyens !” chez Fayard.