Extases et chimères de l’amour courtois

Un beau roman de Joël Schmidt avec un Tristan et une Yseult modernes.
Le siècle est pauvre en rêves et en idéal ? Vivons alors un amour courtois ! C’est la romantique proposition que nous font Joël Schmidt et son héros, Johann, médiéviste, que l’égoïsme, le cynisme et les désordres de son temps écœurent. Descendant d’un parent éloigné de Kleist, bercé par les Märchen et légendes que lui racontait son grand-père, il soigne son spleen sous le regard sévère des portraits de famille, par des rêveries d’une Allemagne dont il a la nostalgie, où les Minnesingers chantaient l’amour courtois qu’ils avaient appris des trouvères et troubadours français et andalous. Sachant que les Allemands sont restés attachés à un passé empreint de magie, il rêve d’appartenir à une de ces Cours d’amour qui y refleurissent en secret.Nommé professeur de khâgne où il enseigne la Minne, il tombe amoureux d’Aurore, qui porte le nom de la dame de ses pensées. Elle a le visage d’une vierge du quattrocento. Égrenant les trente-et-un codes de l’amour courtois, il se rapproche de cette descendante d’une famille de la noblesse allemande et la séduit.
Il promet de l’initier au monde des Minnesingers du XIVe siècle qui ont chanté à la cour de ses ancêtres. Mais la jeune fille pure lui avoue une relation interdite avec son père, subie dans l’enfance. Elle n’a de cesse, depuis, de rechercher un amour qui la lave des salissures de son siècle. Johann lui propose alors de le suivre dans un voyage dans le temps. Commence une longue et tumultueuse relation entre la vierge blessée et le mélancolique professeur, faite d’attente et de désir, de passion et de jalousie, de chasteté et d’amour bestial, en dehors de toute morale contemporaine. Fidèles aux trente-et-un codes, c’est à Nuremberg, vieille cité impériale maudite par l’histoire, ville des sociétés secrètes et des excès funestes, qu’ils transcendent les limites de leur amour. « L’amour doit rester secret s’il veut durer », préconise le treizième code. Ils découvrent une Cour secrète cachée dans les remparts du château. Là, hommes et dames vêtus comme au Moyen-Âge se retrouvent et s’adonnent à des plaisirs érotiques. Au fil d’épreuves et de trahisons, Johann n’a de cesse de reconquérir sa belle.
Le jour où il achète le château des Mirages, ils franchissent pour de bon la frontière du temps. Les métamorphoses opèrent. Il ne leur reste, pour clôturer le cycle des codes, que de vivre le trente-et-unième, le plus dangereux de tous.La suite n’est que larmes amères. Les sortilèges s’évanouissent, la mémoire de leur siècle leur revient. Johann n’a d’autre recours que de brûler la Minne et de se saisir de l’épée de Wolframm pour que tout s’accomplisse. Douleur et plaisir mêlés, ce très beau roman, délicat et cruel, ressuscite pour nous un temps où la femme jouissait de libertés et où l’homme acceptait de souffrir pour elle jusqu’à la mort. Porteurs de beauté et d’onirisme, ces « amants », Tristan et Yseult modernes, nous parlent depuis un monde qui n’est plus le nôtre et auquel il nous est encore permis de rêver.
P.R.
Les Amants, de Joël Schmidt, Albin Michel, 183 p., 16 €.
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