Frédéric Vitoux, charmeur désengagé
Le passionné d’Italie et de Céline excelle également dans la nostalgie.
Ouvrir un livre de Frédéric Vitoux, c’est comme pousser la porte d’une maison amie : il y a les thèmes et les lieux récurrents, les images qui surfent sur les modes et s’en moquent, les clins d’œil au petit et grand milieu littéraire, la nostalgie d’un monde inclus entre deux ou trois arrondissements de Paris. Ce passionné d’Italie, spécialiste de Céline, féru des chats, îlien de Paris, est incollable sur la géographie gourmande de son quartier et de ses lisières, qui évoque autant feu le Gourmet de l’Ile de Jules Bourdeau que les méandres de la rue du Dragon (les éditeurs se donnaient alors rendez-vous chez Tiburce). “Les Désengagés” débute en octobre 1967, avec la rencontre, chez un marchand de disques, d’une éditrice mélomane un peu esseulée, Marie-Thérèse, et d’un futur auteur, le jeune et séduisant Octave, autour de vinyles classiques et d’une discussion sur “Le Chevalier à la Rose” de Richard Strauss. Il se poursuit peu avant mai 1968, quand la première, tombé sous le charme du second, tente de défendre son œuvre, ce “Quarante et unième mouton” appelé à jouer le rôle de révélation de printemps. Un nouveau Bernard Frank ? En tout cas, un auteur jeune, séducteur, imprévisible, à qui toutes les gloires sont promises et les promesses au moins offertes.
On sait ce qu’il advint de mai 68 et on devine que les lecteurs des auteurs qui ont eu la malchance de publier ce printemps-là ont été sinon désorientés, du moins incités, par la force de l’événement et le mouvement de l’Histoire, à aller voir ailleurs. Vitoux, qui aime ses personnages de fiction, les frotte à ceux de sa réalité (Pierre Dumayet, Matthieu Galey, Robert Kanters…) conte avec un mélange de précision érudite – un brin autobiographique – et de nonchalance, souverainement mêlée, évoque des silhouettes sensibles, vagabondes, désengagées, certes, mais pas loin d’être désabusées, croquant avec habileté le portrait du débonnaire et avisé patron des éditions de l’Abbaye, le malicieux Robert Le Chesneau, qui fait penser à maints de ses pairs, de Balland à Belfond, de Losfeld à Pauvert, qui saura récupérer le mouvement de Mai – emprisonné en quelques ouvrages illustrés promis au succès. Bref, il évoque, en s’y incluant avec un don certain de l’autoportrait discret en demi-teinte, le milieu littéraire de son époque, chroniqueurs, auteurs et éditeurs mêlés. Autant dire que ce livre, un brin nostalgique, en tout cas, bourré de charme, séduit avec force, autant par son écriture vive, gourmande, cursive, que par son sens du portrait à la pointe sèche.
G.P.
Les Désengagés, de Frédéric Vitoux, Fayard, 283 p., 20 €.
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