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Jean-Luc Godard L’écaillé du cinéma

Jean-Luc Godard L’écaillé du cinéma

Quand le père de la Nouvelle Vague et d’“À bout de souffle” inspire (bien ou mal ?) les romanciers.

« Je suis le plus connu des gens oubliés. J’ai toujours voulu les deux à la fois, me faire connaître et me faire oublier », affirmait Jean-Luc Godard dans un entretien avec Alain Bergala en 1997. Celui qui incarne le cinéma a réussi à devenir un mythe vivant. Redoutable sujet pour ses biographes, son jeu de retraits et d’apparitions le rend d’autant plus intriguant. Qu’on l’adule ou qu’on s’en moque, il inspire. Il fait fantasmer. Ce Buster Keaton suisse, lunettes fumées, boyard ou cigare au bec, barbe de deux jours, deviendrait-il un personnage de fiction ? Son œuvre multiforme, ses périodes, ses amours, ses engagements, autant de sources inépuisables. Trois auteurs en ont fait leur miel. Anne Wiazemsky poursuit sa quête du passé, sa petite musique. Après “Jeune fille” et “Une année studieuse”, elle clôt sa trilogie avec “Un an après” (Gallimard). Elle y raconte une année révolutionnaire, de février 68 au printemps 69. Dans un duplex rue Saint-Jacques avec son mari (qu’elle appelle Jean-Luc), elle s’apprête à tourner “La bande à Bonnot”, de Philippe Fourastié. La décision de remplacer Henri Langlois, président de la cinémathèque, met le feu aux poudres. Anne Wiazemsky recrée la “Longue Marche”. Godard, le Mao, monte aux barricades, filme les manifs, insulte les « CRS-SS ».

Avec la bande de La Nouvelle Vague, il exige l’arrêt du Festival de Cannes en solidarité avec les étudiants. On croise Gilles Deleuze, Truffaut, Bertolucci, les Stones, en transes. Celle que JLG appelait « son animal-fleur » revit son amour pour cet homme de dix-sept ans son aîné, si enfantin, si tendre avec ses provocations, son autosatisfaction. Jamais là où on l’attend, Godard est à la fois lui-même et un autre. Jaloux, colérique, l’ancien critique des Cahiers du cinéma perd ses illusions, se veut anonyme – les droits d’auteur, ce n’est pas son truc – sombre dans une dépression qui ira jusqu’à une tentative de suicide. Justes et délicats, ces souvenirs nourris d’une documentation fouillée devraient être adaptés au cinéma. Mais qui jouerait Godard ?
Avec Chantal Pelletier, JLG devient non pas le héros, mais le maître à penser d’une vie de femme. Tout commence à quinze ans au ciné-club de la Maison des Jeunes. “A bout de souffle” la libère de son carcan paysan. Elle se rêve Jean Seberg, monte sur scène, aime, souffre, pour et par Godard. Avec son amie, Marie, elle voue un culte au Dieu JLG. L’envoûtement va jusqu’au “Film Socialisme” de l’artiste de plus de 80 ans ! Un hymne à la galaxie Godard chanté avec allégresse et ferveur. Vigie ou aède, JLG sauverait-il les âmes ? Pas sûr que le révérend père de la Nouvelle vague aimerait.

Christophe Donner, dans “Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive”, met en scène le cinéaste à la première de “La Chinoise”. Entrée du maestro, « silence d’apnée… » Voix chuintante, œil qui frise : le personnage est planté. A peine est-il monté dans son Alfa Romeo que Jean-Pierre Rassam, se lâche : ce film, « c’est l’emmerdement maximum ». Godard fonce à cent à l’heure, traite les agents « d’esclaves de cette société pourrie ». En militant déchaîné, il vire au tragi comique. Lorsque Rassam produit son film en Palestine, il débarque au Plazza en treillis, marche sur les mains, s’emballe pour les fedayin. On jubile.
Et, forcément, on est à bout de souffle. Séducteur démiurge, cet inclassable n’a pas fini d’exciter l’imagination, d’être un personnage en quête d’auteur. Quoi qu’il en soit, il s’en fout. Art is God !
E. de B.

Voir également

Un an après, d’Anne Wiazemsky, Gallimard, 208 p. 17,90 €.
Et elles croyaient en Jean-Luc Godard, de Chantal Pelletier, Joëlle Losfeld, 150 p. 17 €.
Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, de Christophe Donner, Grasset. 368 p. 19, 50 €.

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