L’ empereur, c’est lui

Le saisissant récit d’un autiste qui raconte sa différence et sa folie muette.
Hugo Horiot est un revenant. Il revient de loin, d’une enfance autiste qu’il raconte dans “L’empereur c’est moi”. Ce livre n’est pas un document sur l’autisme (le mot d’ailleurs n’y figure pas une seule fois), plutôt un très beau texte sur la différence. Sa mère, l’écrivain Françoise Lefèvre a raconté comment elle avait vécu ces années-là dans “Le Petit Prince cannibale” (Prix Goncourt des lycéens 1990). Très tôt elle comprend que son enfant vit dans un monde à part, et que c’est à elle, et elle seule, de le tirer de sa folie muette. Pas d’école spécialisée, pas d’hôpital de jour, pas de psy, surtout pas. Juste de l’amour et une attention à toute épreuve.
Pour le sortir de là, pendant quatre ans, elle se consacre entièrement à son petit prince cannibale, qui lui bouffe son temps, son énergie, et qui la prive surtout des mots pour écrire. Les mots cadeaux, les phrases données, elle doit les repousser, les réfréner, les laisser perdre. Elle est devenue un écrivain qui n’écrit plus. Double souffrance que ce silence de la page blanche, inséparable du mutisme de son fils. Un jour, enfin, il dit quelques mots. Et bientôt d’admirables phrases, telle que « Quand on perd l’équilibre, on perd son royaume ». Ce qui s’est passé? À six ans, il a décidé de changer de nom. Il s’appelait Julien, il deviendra Hugo. « Hugo a tué Julien, l’a enseveli dans la terre noire ». Julien expulsé, tout le mal qu’il causait est enterré avec lui. « Julien ne sera évoqué devant moi que par les ignorants et les imbéciles. Et eux, soit je les méprise, soit je les écrase », écrit-il.
L’autisme n’est pas la forteresse vide que décrivait Bruno Bettelheim. Plutôt une citadelle en état de guerre permanente. Se souvenant de ses quatre ans, de ses cinq ans, Hugo évoque les batailles qu’il rêve de livrer contre le monde extérieur en général et les cons en particulier. À la tête d’une vaillante armée, il rêve d’étrangler, de décapiter, de briser à la hache…Toute cette violence si longtemps prisonnière éclate aujourd’hui dans une écriture au couteau. La colère est toujours là (contre l’inefficacité coûteuse des traitements actuels contre l’autisme). Précisons qu’il souffrait de l’autisme Asperger, autrement dit un autisme de haut niveau. Il a réussi cet exploit : passer du silence à la maîtrise absolue du langage. Comme un athlète des mots. Comme l’écrivain et le comédien qu’il est devenu.
J.D.
L’empereur, c’est moi, d’Hugo Horiot, L’Iconoclaste, 214 p., 17 €.
Le Petit Prince cannibale, de Françoise Lefèvre, Actes Sud Babel, 159 p., 6,50 €.