La fureur de mourir

Il fut l’un des plus attachants poètes de la seconde vague du surréalisme.
J’ai souvent parlé de René Crevel (1900-1935) avec Philippe Soupault, le poète cofondateur du Surréalisme, qui fut son ami et l’éditeur de ses deux livres majeurs “Mon corps et moi” et “La Mort difficile”. Tous les deux aimaient errer la nuit dans Paris sans but précis. Quand ils se quittaient, Soupault entendait le téléphone sonner, à peine arrivé chez lui. C’était Crevel. Pour entretenir leur amitié, il voulait encore la prolonger même après s’être vu. Le 18 juin 1935, le suicide de son cadet de trois ans ne le surprit hélas ! pas. Dix ans plus tôt, Soupault avait écrit “En joue !”, un roman dont le héros lui avait été inspiré par Crevel, Rigaut et Drieu la Rochelle. Les trois mirent fin à leurs jours et « moi, je suis toujours vivant », me confiait Soupault dans les années 1980. Les inédits d’un écrivain disparu ne sont jamais synonymes de chef-d’œuvre oublié. On se félicite néanmoins de renouer avec une œuvre que presque plus personne ne lit et d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un auteur très attachant. Dans le marécage du surréalisme, il était l’un des plus authentiques à l’inverse de l’arriviste Dali, haï par les fondateurs du mouvement, notamment pour avoir léché « les bottes ensanglantées de Franco » selon les termes de Soupault. Tout ce qu’a fait Crevel porte le sceau de l’authenticité. Il avait horreur du chiqué depuis que sa mère l’avait obligé de regarder le cadavre paternel, pendu. On ne sait pas ce qui fut le plus dur : voir son père qui s’est suicidé ou être traîné par la mère devant le cadavre ? Il ne s’en est jamais remis, même s’il était doué pour l’amitié consolatrice de bien des maux.
Fêtard pour oublier que nous sommes tous en sursis, René Crevel recherchait surtout la compagnie d’hommes et de femmes fréquentables. Bisexuel – au mépris du véto d’André Breton qui prônait une hétérosexualité exclusive – le solitaire Crevel a beaucoup de traits de caractère en commun avec son ami Klaus Mann, autre écorché vif de l’entre-deux-guerres. Le cœur des “Inédits” est consacré à son abondante correspondance, surtout celle avec sa maîtresse TotaCuevas. « Certains jours, j’ai un visage gris. Mais l’amitié supprime ces jours-là. » Crevel avait une certitude : « On me lira dans 50 ans. » La postérité n’est pas très généreuse avec lui. Pour lui rendre hommage, on peut lire “L’arbre à méditation” (1930-1931) – sorte de “Cri” à la Munch mais avec des mots – que Soupault ne parvient pas à faire éditer car il avait décidé d’aller là « où ça se trafique ». Et au début des années 1930, Soupault combat le nazisme, dans des articles visionnaires. Proche des communistes, le tuberculeux Crevel s’active pour cacher des réfugiés espagnols. Du 12 au 17 juin 1935, il prépare Le Congrès international des écrivains pour la défense de la culture. Au cours de cette semaine-là, André Breton gifle en pleine rue Ilya Ehrenbourg, chef de la délégation soviétique. L’altercation physique met fin aux tumultueuses liaisons entre surréalistes et communistes qui du coup prennent le contrôle du Congrès. Crevel se demande alors si Breton n’était pas tombé dans le piège de la provocation.
Déçu par la tournure des événements, et par le genre humain, Crevel se suicide au gaz, chez lui, quatre jours après l’incident Breton-Ehrenbourg. Ses dernières volontés ? « Prière de m’incinérer. Dégoût ». A Soupault, il avait souvent dit que le suicide « pouvait être la solution ».
B.M.
Les Inédits, lettres, textes, de René Crevel, édition établie et présentée par Alexandre Mare, Seuil, 398 p., 23 €.
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