La tortore à la barre fixe

J’imagine tonton Georges aux oignes, entre un grand chêne et sa mare aux canards, en train de reluquer ce restau tout frais tout vivant et tout nouveau, déco à la mords-moi-les-tapas, qui flamencote aux Batignolles en chantonnant : “Gare au gori-i-lle !” Gare au gorille, c’est le nom du bouclard. En hommage à Brassens, nous explique-t-on. Seulement pour la graille, chères Margot et Fernande, gare à l’esbrouffe, tonton Georges, il peut se la carrer dans le bout de zinc. Dès le début, on sent le truc qui vous tatane le tronc en loucedoc, tape au quinquet, en vous infligeant une petite carte ni faite ni à faire, pour bobos qui jouent au lego. Un pâté de lapin sans goût, une raie sans fesses, un mulet noir servi cru avec un dé à coudre de betteraves rouges et de poiloches tout juste lustrés à l’Ultra doux de Garnier. Pas de souçaille, les coquins d’abord ! La côte de veau pour deux, michto et bien cuite, okay des brumes, n’est pas plus grosse d’un burger de l’oncle Mac. En voyant la daube, le père Boudoux, garde-chasse du grand Dumas à Villers-Cotterets, qui s’enfilait un veau entier en apéro, s’écrierait comme nous : « Dis-donc, Paulo, ta côte de musaraigne aux petits légumes, tu peux te la cloquer directo dans le quasi ! » Bref, cette canfouine de loquedus sans âme gastronomique, sans tempérament, sans talent, est juste un repaire pour bobos qui se la grignotent. Malheureusement, les picratons sont à l’aune de la gastro, trop jeunes, trop acides, nuisibles pour la colonne descendante, aptes à faire vriller le croupion d’une mouette en plein vol. Si on carbure au château Lapompe, c’est de l’eau filtrée, une Fresh plate 75 à 4,50 € ! En plus de cela, chers bobos, vous qui n’avez rien dans le trousse-burnes, vous avez intérêt à en avoir dans le crapaud, car pour manger à sa fin, il faut débourser 140 € pour deux ! Le gorille vous salue bien !
Gare au gorille, 68 rue des Dames, 75017 Paris. 01 42 94 24 02. Carte : 70 €.
Maintenant, même dans les estancos de deuxième zone, où on se pignole un max à la prétention, il faut bigophoner le matin ou l’après-midi pour réserver, jamais le midi ni le soir, au cas où l’on dérangerait les artistes en plein taf. Tous ces cadors sont pleins, on opte donc pour le service de 19h30, avec un courant d’air dans le microsillon et des loufiats qui vous retapissent avec de faux airs de Marlon Brando dans “Un tramway nommé désir”. Chez Will, pas vraiment l’espiègle, entre le foie gras noir comme des granulés de Formocarbine ( il y a des petites céréales torréfiées dessus) et le merlu qui cherche ses nageoires (pas mauvais, mais là aussi, servi à la pince à épiler), ce n’est plus du désir, c’est du délire. Pour être franc, c’est bien exécuté, assez savoureux, même si c’est très fugace, mais ce n’est pas avec ces en-cas d’homoncules qu’on va se régaler le pilum à Carnac ! Comme on disait dans les années 30, on tortore à la barre fixe. On a beau scruter les plats avec la longue vue du capitaine Crochet, on se cale tellement le burlingue avec le brignolet qu’on se métamorphose en Péteur Pan ! Mais le problème, chers anachorètes, c’est que dans ces établissements modeux et chichiteux, il n’y a pas vraiment le sourire du père Claude ni la bonne humeur de la mère Juju. Ils veulent tellement faire genre, tous ces amputés du cerkos, avec du bœuf mariné qui ne marine pas et du tout chocolat qui vous laisse chocolat, avec des rouquins qui vous passent au mixer les sons et lumières du buffet Henri II, qu’on finit par se peler le coco et vite se tailler pour rentrer à la casbah et regarder un bon Hercule Poirot sur TV Breizh afin de ne pas être dans le potage !
Will, 75 rue Crozatier, 75012 Paris. 01 53 17 02 44. Carte : 60 €.
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Numéro 82 – Mars 2015 – Papier
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