L’amoureux des jeux de maux
Patrice Delbourg est avant tout un poète qui jongle avec les mots et les rêves.
L’animal littéraire n’a pas que des amis, c’est signe qu’il a un talent qui dérange. Son style dégaine plus vite que son ombre. Fermons les yeux sur son enthousiasme à dézinguer des proies faciles, car ses services rendus à la littérature sont plus nombreux. Avec Jérôme Garcin, Pierre Drachline, Pierre-Robert Leclercq et François Bott, il est l’un des plus grands lecteurs d’écrivains par excellence : la liste est longue, de Perros à Guérin via Hyvernaud et Hardellet. Il a d’ailleurs rassemblé toutes ses mises au tableau d’honneur des Lettres dans deux superbes sarcophages :“Les désemparés” et “Le Bateau livre”. En marge de ses articles, il a une œuvre poétique éditée au Castor Astral. S’il n’en reste qu’un, cela sera celui-là. Depuis son enfance, le désormais sexagénaire aime jouer avec le langage. Une manie qui est devenue une passion, puis un métier. Chez les Delbourg, on cultive l’esprit de père en fils, à tel point que le patronyme est devenu Calemdelbourg !
Et comme la vie d’un père d’écrivain se termine toujours par un livre, l’héritier nous a donné “Longtemps j’ai cru mon père immortel”. Rien ne nous est épargné : pas plus l’agonie que les ouvertures lumineuses de Roger Piantoni. Delbourg junior à l’art de dire beaucoup en cachant parfois l’essentiel. Son père, lui, pestait contre la terre entière, à la manière d’un Céline sans œuvre. Tout a commencé par “Toboggans”, un premier recueil de poèmes dans la veine citadine des enfants inconsolables de devoir grandir. Comme il a vite compris que la vie est une maladie qui se termine mal, il tient le journal de son hypocondrie dont un tome a été publié au Seuil en 1994. Hélas ! les vrais pépins physiques ont quitté la fiction dans le parcours de cet homme très secret qui ne parle jamais de sa vie privée même s’il n’hésite pas à montrer sa carte de fidélité d’un mirodrome où il va rechercher les fantômes d’Yves Martin et d’André Hardellet au milieu des Kleenex. Le fils unique a de multiples plaisirs solitaires. Il flâne sur une bécane des années 1960 et supporte le club de Sedan rétrogradé en CFA. Il n’y a que Delbourg pour choisir en exergue d’un livre (“Un soir d’aquarium”), à la fois Chamfort (« Apprendre à mourir ! Et pourquoi donc ? On y réussit très bien la première fois ! ») et Pierre Doris (« C’est très beau, un arbre dans un cimetière. On dirait un cercueil qui pousse »). Tout est dit : le désespoir et l’humour.
« Rien n’est plus beau qu’un bistrot éclairé au beau milieu d’une bourgade qui s’emmitoufle dans la brume », nous rappelle Delbourg. Le lire procure l’émotion de voir la dernière séance d’un cabaret ou d’un music-hall qui va fermer ses portes comme jadis le Concert Mayol ferma les siennes. Un Doisneau de l’écrit. Son nouveau livre est un hymne à la chanson française, après celui consacré aux “Jongleurs de mots” (Ecriture, 2008). On ne partage pas tous ses goûts et encore moins ses dégoûts. Il confond parfois poète avec promoteur de spectacles pour public qui pense que Chantal Goya est la fille d’un peintre espagnol. Tout le monde n’a pas l’authenticité de Francis Lemarque et de Boby Lapointe. On a les chanteurs que l’on mérite. À 90 %,il s’agit d’exercices d’admiration loin des « poupées barbantes ». Les répulsions ne sont donc pas nombreuses, mais elles attirent l’oeil. Si vous aimez Obispo, Barbelivien, ou les rappeurs de l’insignifiance, il n’y en a nulle trace. On note avec étonnement l’absence de Mouloudji, auteur du mythique “Un jour, tu verras”. Et de Arthur H., recalé au hit-parade. On devine bien que Patrice Delbourg, lors d’un trajet Paris-Vence, écoute plus Bernard Dimey qu’Étienne Daho. À Vence, Delbourgne manque pas d’aller au cimetière saluer Calet et Gadenne. Dans la dernière salle de spectacle, il a déjà réservé son strapontin.
B.M.
Les funambules de la ritournelle. Cent fous chantants sur le fil, de Patrice Delbourg, Ecriture, 615 p., 29, 95 €.
Le cowboy du bazar de l’Hôtel de ville, de Patrice Delbourg, Cherche Midi, 247 p., 17 €.
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