Le charme parfois trop discret de James Salter
Le dernier opus du grand romancier américain nous a parfois laissés en rade.
James Salter est un écrivain élégant et raffiné. Un maître de la suggestion et de l’ellipse : « Il eut soudain l’impression qu’elle lui était devenue étrangère. Il savait qu’il aurait dû se montrer compréhensif, il ne ressentait cependant que de la colère. C’était peu aimant de sa part, mais il ne pouvait s’en empêcher. Il ne put fermer l’œil, muré dans le silence ; la ville elle-même, sombre et scintillante, lui paraissait vide. Le même couple, le même lit, et pourtant ils n’étaient plus les mêmes. » On dirait Morand dans “Lewis et Irène”. Ses pères en littérature, ses fellows, ceux qu’il cite ou évoque le plus souvent, sont Fitzgerald, Hemingway, Nabokov, Rilke, Tchekhov et Isaac Babel. Toute son œuvre est, dorénavant, disponible, en France, aux Éditions de l’Olivier. Son dernier roman “Et rien d’autre”, est un bon et beau livre : quarante ans dans la vie d’un éditeur américain, Philip Bowman, de guerres en femmes, et en livres – et retour, avec d’autres guerres, d’autres livres, d’autres femmes, quelques amis, la mort des parents (entre autres), des restaurants mémorables, des voyages inoubliables – et quelques alcools forts, les meilleurs. Bowman participe et survit à la bataille d’Okinawa et devient éditeur un peu par hasard. Il nous fait visiter, à la dérobée, ou par le menu, selon, les coulisses, rituels, pratiques d’une certaine édition – disons celle qui a sévi des années 50 aux années 80 à New York, et en Europe.
On a du mal, pourtant, à se rallier tout à fait au concert de louanges et dithyrambes sans nuance qui ont accueilli ce dernier opus. Si l’on a, ailleurs (La Quinzaine Littéraire), naguère, dit tout le bien que l’on pensait d’“American Express”, d’“Un Sport et un passe-temps” et d’“Un Bonheur parfait”, “Et rien d’autre” nous a parfois laissés un peu « en rade ». Non, Salter n’a rien perdu de son charme, cette musique entêtante qui nous le fait reconnaître immédiatement (presque), cette écriture à l’os, cette mélancolie tenue, cette fluidité inouïe dans la narration, ou encore cette intelligence qui ne conclut jamais et « ouvre », donc. Mais il y a ici une langueur, un ennui même, parfois, que l’on a dû apprivoiser. Disons que ce dernier livre de Salter, 89 ans, se mérite et se conquiert, alors que les précédents nous ravissaient et nous laissaient éblouis et épatés, sur la rive, à rêver. Bien sûr, il y a toujours, en Salter, cet homme d’action que guette, en embuscade, le moraliste (l’inverse est vrai) – et c’est merveille, et pour ça, il faut lire “Et rien d’autre”. Mais on avait tant aimé les Mémoires de l’ancien pilote de chasse Salter, “Une Vie à brûler – Mémoires” d’un écrivain par un écrivain –, que les Mémoires de Philip Bowman, le roman d’un éditeur par un écrivain, à cette aune, nous ont un peu déçus.
C’est ainsi : on préfère les écrivains. On a failli ajouter : “Et rien d’autre” – mais l’on s’est abstenu. Une consolation, pour se requinquer – ces mots qui concluent presque “Une Vie à brûler” : « J’aime les hommes qui ont connu le meilleur et le pire, dont la vie a été tout sauf un voyage sans histoires. Ils ont subi les tempêtes, ils ont connu, parfois des mois durant, le calme plat. Il en reste quelque chose, même s’ils échouent. Ils n’ont pas fait que pianoter ; il y a eu des accords grandioses. » Voilà Salter. Lire, c’est, parfois, aussi (surtout ?), discriminer.
F.K.
Et rien d’autre, de James Salter, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville, l’Olivier, 368 p., 22 €.
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