Lecture du moment
Le Chateaubriand de l’argot

Le Chateaubriand de l’argot

Une réimpression de “Touchez pas au grisbi” et d’Albert Simonin.

L’homme est né à crédit. Une façon d’adresser un clin d’œil à Céline, le voisin de Courbevoie. Lui, Albert, c’était la Chapelle. Son dernier livre s’intitulera d’ailleurs “Confession d’un enfant de la Chapelle”, et pas dans le style rousseauiste. Simonin (1902-1980), à ne pas confondre avec Simenon, même si le roman policier crée parfois des complicités, avait un père fabricant de fleurs artificielles et une mère souffreteuse. Les misères veillaient déjà. Le style, il va l’apprendre avec son père qui, hormis les fleurs, a le vice des courses. Il devient apprenti en électricité, en boucherie, en marquage de bretelles, en maroquinerie, en courtage de perles, en journalisme… Douze métiers, treize misères. Si on lui avait demandé son avis, Simonin, vite orphelin (son père et sa mère meurent quand il a 15 ans), aurait préféré être à Louis-le-Grand, faire Sciences-Po, l’Ena, devenir commissaire européen à 20000 par mois, à l’image de Mosco. Au lieu de ça, Albert glande. Il dérive au jour le jour, sort la nuit, apprend ses sortilèges, son argot, ses alcools, sa poésie, ceux de la tierce et du mitan. C’est la dèche. Taxi, Albert chauffe, transporte, traîne sa viande dans les rades les plus blèches de la Quincampe, de la Mouffe, du Sébasto, de Ménilmuche, de la Popinque. La langue, les expressions, les mots qu’il butine sur les traces d’Eugène Sue, c’est là qu’il va les enregistrer. En 1953, sous le soleil de Villon, il nous les restitue tel un cador de la syntaxe, dans la droite ligne de Rabelais, Jehan Rictus, Forton, Trignol et Bruant.

A la sortie de “Touchez pas au grisbi”, c’est un triomphe. Les critiques parlent d’un Chateaubriand de la langue verte, d’un Céline du polar qui fait des miracles avec les vingt-six lettres de l’alphabet. Simonin n’est pas qu’un conteur, c’est un styliste. Voilà ce qu’écrit Mac Orlan : « Simonin est un précurseur dans l’art du roman policier qui, cette fois, s’adresse à ceux qui parlent la langue de la pègre ». C’est savoureux. Exemple (Et l’on vous prie de ne pas confondre avec Monsieur Rinaldi) : « J’avais jamais eu d’estime pour Angelo ; j’aime pas les harengs, mais quand ils traînent des vices de gonzesse, je crois que je leur préfère encore les lopes ». Description d’une dame qui a du chien : « Côté plastique, faut avouer que Lucette était armée : nénés ogives indéformables, cuisses fuseau grand sport, noix rondouillardes et une cambrure de hanche dégradé moelleux tout ce qu’il y a de plus confortable… ». Bref, un mélange savant d’argot et d’adjectifs dosés, de décalages et de précisions, de lyrisme et de sécheresse, de mots savantissimes et de dialogues au P.38. Dard, Audiard et Boudard auront de qui tenir. Pour les aficionados, Simonin (mort en 1980) travaillera pour le cinéma avec Audiard, et ils feront ensemble “Les tontons flingueurs”, qui est une adaptation de “Grisbi or not grisbi”. Si vous voulez voir les anges de la langue verte, y aller de votre voyage dans un pays cher à Pechon de Ruby, Jésus la couille et Paulo la déglingue, foncez vers le grisbi avec Max le Menteur (Jean Gabin au cinéma), Pierrot et le Gravosse, vous n’aurez pas une chaise percée dans le burlingue !
F.C.

Voir également

Touchez pas au grisbi ! d’Albert Simonin, Folio policier, 286 p., 7,90 €.

Voir les commentaires (7)

Laisser une réponse

2020 © Service littéraire, tous droits réservés.