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Le totalitarisme du bien

Le totalitarisme du bien

Numéro 88 – Franc-parler

 

Rien ne me semble plus révélateur de l’état préoccupant de la France que la manière dont la culture est appréhendée et exploitée. A la fois magnifiée et dégradée. Abstraitement révérée mais instrumentalisée. Pompeuse mais vulgaire.

Certes nous sommes très doués pour nous rendre des hommages creux en vantant notre exception culturelle comme si être une exception était forcément gratifiant. A voir certains films et à lire certains romans, on souhaiterait en effet qu’ils fussent une exception mais je crains que non. La médiocrité a ce pouvoir impérieux, quand il n’est pas coupé net, à la source, de proliférer, de prospérer. Elle est contagieuse.

Une ministre de la Culture qui vient se mêler de cette nullité intellectuelle et par instants pornographique qu’est Love de Gaspard Noé qui a osé comparer ses détracteurs à l’Etat islamique.

Un président de la République et un Premier ministre s’affichant en critiques littéraires pour nous dissuader de lire le superbe roman de Michel Houellebecq si vrai, à peine futuriste. Le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’ont pas été écoutés.

Pas davantage que lors de leur mise en garde pour le Suicide français. On n’a jamais subi un pouvoir aussi malfaisant avec la diffusion lassante de son Totalitarisme du Bien ! L’intervention de Manuel Valls il y a quelques mois enjoignant à Michel Onfray de donner raison à qui a tort, mais il est de gauche, et de contredire qui voit juste, car il est de droite. C’était le même qui pour l’affaire Dieudonné avait paternellement tenté de dissuader ces grands enfants que sont les citoyens de se rendre aux spectacles de ce comique sulfureux comme s’ils n’étaient pas capables spontanément de distinguer le bon grain de l’ivraie.

Ces émissions où la littérature est noyée dans un flot promotionnel et clientéliste et où par exemple les exaspérantes mimiques de Ruquier riant de ses saillies étouffent les rares fulgurances d’invités pour une fois plus forts que la platitude hilare qui les entoure.

Ces critiques de cinéma seulement soucieux de respecter une alternative entre l’hyperbole et le massacre et de démontrer qu’on a à faire à un grand film parce que la technique est impeccable même si le scénario est affligeant.

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Des journalistes qui évidemment se dépêchent de continuer à penser le meilleur d’eux-mêmes puisque le pire au quotidien les révèle soumis, dépendants, arbitraires et trop rarement lucides.

En même temps, et je l’analyse comme une sorte de prise de conscience qui les rehausse mais un effacement masochiste qui les relègue, je suis frappé par la multiplication, dans la presse écrite, d’entretiens et de dialogues qui offrent cette particularité d’exclure le journaliste et de mettre en présence, sauf exceptions, des personnalités qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre et qui, pire, n’ont rien à nous dire. Si on admet qu’en principe des échanges publiés devraient avoir pour finalité d’intéresser, de surprendre et de stimuler au-delà d’eux-mêmes. Un épicier face à un parfumeur. Un cuisinier face à un essayiste. Un philosophe – Cynthia Fleury souvent, pourquoi ? – face à n’importe qui, Mathieu Ricard, une fois par an, nous annonçant ce qu’est le bonheur en face de Luc Ferry qui le théorise, des personnalités improbables confrontées à des lumières relatives. On prend n’importe qui, n’importe quoi, on mélange et on se moque du résultat. L’important est d’avoir passé le relais et d’avoir substitué à la responsabilité du journaliste le vide d’une fraternité superficielle.

P.B.

 

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