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Le triomphe de l’ éphémère

Le triomphe de l’ éphémère

Riccarelli nous explique que le sport est une métaphore épique de nos vies plates.

Hugo Riccarelli, avec ces dix nouvelles, brode brillamment sur le thème du champion ou, en tout cas, sur celui du sportif de haut niveau. Entrant par l’effraction de l’imagination dans l’intimité spirituelle des dieux du stade, ces textes brefs nous éclairent leur côté obscur, leur face cachée, leur versant tout embrumé de songes et de doutes. L’écrivain enclot dans son livre quelques gloires du xxe siècle. Gloire oubliée comme Guy Moll, fulgurant vainqueur d’une seule course, le Grand Prix automobile de Monaco en 1934, génie de la trajectoire pour Enzo Ferrari, et tué au volant la même année dans des circonstances troublantes. Ou gloire demeurée mythique, comme l’ascétique Fausto Coppi, que Riccarelli imagine à l’entraînement en montagne doublé par un môme sur un vélo de facteur que le coureur ne rattrapera jamais.

Comme Garrincha aussi, le petit footballeur bancroche, handicapé des jambes, qui travaille inlassablement sa fameuse feinte de corps jusqu’à se sortir de sa mouise congénitale pour devenir champion du monde. Ces forçats de la performance savent leur suprématie éphémère. Qui ramassera leur couronne lorsqu’elle roulera dans la poussière? Car le jour vient, funeste, où leur corps les trahit, leur vista s’émousse. Mais Garrincha, comme tant d’autres, n’oubliera jamais rien de son parcours douloureux et triomphal. C’est cette hypermnésie qui assombrit la fin d’existence de ces champions déchus, assassinés qu’ils sont par leurs souvenirs de gloire, leur mémoire hantée par les hourras anciens : « Quand on ne réussit pas à oublier, la vie devient lourde et tragique », dit Riccarelli.

En attendant cette course ou ce match de trop qui provoquera la chute du géant, celui-ci travaille à prolonger cette invincibilité qui lui assure son statut de surhomme et qui plonge les foules dans l’extase et le rêve. On en vient à penser, en lisant Riccarelli, que le sport – pour parodier Jacques Chardonne –, c’est beaucoup plus que le sport, que cette discipline est une métaphore aventureuse et épique de nos vies plates, son raccourci poétique, onirique, dramatique. Le champion est un passeur qui nous entrouvre les portes de l’empire du geste juste, de la trajectoire exacte, de la passe limpide ou de la force pure. Sitôt atteinte, cette perfection affranchit l’athlète de sa condition d’homme, le libère provisoirement de ses chaînes et en fait l’égal d’un dieu pour quelques instants ou – si tout va bien – l’installe sur l’Olympe des mythes éternels.
G.P.

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L’ange de Coppi, de Ugo Riccarelli, traduit par Louise Boudonnat, Phébus, 219p., 19 €.

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