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Les cents visages du docteur Freud

Les cents visages du docteur Freud

Et si on fichait un peu la paix au divin papa de la divine psychanalyse ?

Pauvre Freud. Dire qu’on traite avec tant d’aigreur le Christophe Colomb des décolletés et des petites culottes ! Quelle ingratitude. C’est quand même l’explorateur qui, le premier, a arpenté en pionnier le vaste continent de nos fantasmes. Avant lui, nul ne s’était lancé dans des spéculations géographiques aussi précises à travers les méandres du moi, du ça et de leurs pulsions. Grâce à lui, on est quelques-uns à comprendre ce qui traîne bien caché dans le fond de nos poches. Je ne parle pas des malheureuses arrivées chez lui froides comme la pierre pour atteindre, une fois sorties de son canapé, des orgasmes dignes de l’échelle de Richter. Ni des hommes auxquels ses silences faisaient plus d’effet encore que le Viagra. Cela mérite quelques égards. Va-t-on chercher des poux à Darwin, à Nietzsche et à tous les révolutionnaires messianiques ? Le respect se perd. Triste époque qui recueille les ragots avec la soif d’une feuille pour la rosée. Depuis quelques années les vautours de l’analyse littéraire s’enivrent de détails picorés dans sa biographie. L’édition est ainsi faite : une petite hache peut abattre un grand arbre. Le “Livre Noir de la Psychanalyse” s’était régalé de l’efficacité thérapeutique très relative de certaines analyses et ironisait sur le nombre exorbitant de leurs consultations. Michel Onfray en avait rajouté en faisant mine de s’indigner de la liaison de Sigmund avec sa belle-sœur (et alors ?) et en rappelant vicieusement une dédicace grotesque au « Duce, le héros de la civilisation » ! Le pire restait à venir avec “La liste de Freud”, un roman de Goce Smilevski qui rappelait qu’au moment de fuir l’Autriche nazie, Freud avait pu emmener vingt personnes (dont ses infirmières, ses servantes et son chien) mais avait laissé à Vienne ses sœurs qui furent déportées et exterminées. Le pire est que tout cela était vrai.

Pas de quoi, cela dit, en faire une tragédie grecque. Les secrets, c’est comme les yeux et les oreilles, tout le monde en a et les bons sentiments n’ont jamais tenu lieu de critère intellectuel. La vie est un libre-service, Freud pouvait bien en faire ce qu’il voulait du moment que ses livres passionnaient les lecteurs. D’abord c’est rare et même exceptionnel. Ensuite ses idées sur le rôle de la sexualité dans nos psychismes étaient bel et bien inspirées. Avant lui, on avait vite fait d’être étiqueté hystérique pour la vie et sans remède. Moi, je lui en suis reconnaissant. Jamais je n’irais m’allonger sur un canapé pour raconter à un inconnu qui me tourne le dos mes échecs dans la quête de Vénus et de son fameux Graal mais, pour autant, il m’inspire le respect. Comme une sorte de pape, de prix Nobel ou de grand savant. D’où mon angoisse en voyant qu’à la rentrée, on annonçait à nouveau “Un secret du docteur Freud”. Signé, cette fois-ci, par Eliette Abécassis. Ouf, pas de panique. C’est très respectueux. On parle des derniers jours de Freud à Vienne et de son exfiltration financée par Marie Bonaparte. Rien de nouveau mais rien de malveillant. Même le nazi de service se convertit. Quant au secret, je n’ai pas bien compris. Il semble que ce soit une lettre qu’il tenait absolument à récupérer parce qu’il y dénonçait le comportement de son propre père avec ses sœurs. Est-ce vrai ? Est-ce de l’imagination ? Mystère. Mais cela ne nuira pas à la légende. J’ai l’impression que les eaux de la méchanceté ont regagné leur lit. C’est l’heure du refoulement. Le docteur aurait apprécié en connaisseur.
G. M-C.

Voir également

Le crépuscule d’une idole, de Michel Onfray, Grasset, 624 p., 22,40 €
La Liste de Freud, de Goce Smilevski, Belfond, 290 p., 20,50 €
Un secret du docteur Freud, d’Eliette Abécassis, Flammarion, 208 p., 18 €.

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