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Rezvani: L’homme qui volait sur les gouffres

Rezvani: L’homme qui volait sur les gouffres

Rezvani

Numéro 91 – Littérature française

 

Rezvani a été peintre, écrivain et parolier, le tout avec bonheur, dans le tourbillon de la vie.

 

Son nom, traduit du farsi, signifie « issu du Paradis ». Sa mère, Adèla Rothstein, avait fui la Révolution russe. Cette juive ashkénaze, violoniste et disciple de Gurdjieff, rencontra son père, Medjid Rezvani, juif russophone, en Iran. Lorsque Medjid abandonna la mère et l’enfant, Adèla quitta Téhéran pour la France. Une isba, en pleine forêt à Saint Paul de Vence où la mère et l’enfant se réfugient. Adèla a un cancer. Elle doit subir de multiples ablations. L’enfant, terrorisé par ses souffrances, entre dans un pensionnat de religieuses cruelles qui le battent. Il oublie tout son russe et quand il la retrouve, ils ne peuvent plus se comprendre. Dans son agonie, sa mère lui a donné un cerisier, acheté à un paysan : pour lui tout seul. Deux des révélateurs de l’enfant Serge ont pris place : la nature, en son Midi, devenu patrie, et… la langue. À neuf ans, sa mère le quitte pour rejoindre sa sœur à Varsovie et lui annonce qu’elle va mourir. L’enfant garde les chèvres jusqu’à ce que son père le récupère, par décision de justice. Medjid Rezvani, après avoir quitté la Perse, a épousé à Paris une jeune danseuse russe,
Nahidé, souffrante et atteinte de phtisie. Cette toute jeune belle-mère sera le premier amour désespéré de Rezvani. Elle mourra assez vite. C’est un tourbillon. Encore plus tourbillonnant que la célèbre chanson interprétée par Jeanne Moreau dans “Jules et Jim”, écrite par Rezvani.

En attendant, l’enfant est jeté par son père dans une pension de Russes blancs, à Verrières-le-Buisson, dirigée par un ex-général de la garde du tsar. Seuls le dessin et la lecture le passionnent. Son père moque son talent inouï de peintre et l’appelle Michel-Ange Molitor. Sa misère exaspère en vain sa formation passionnée à la Grande Chaumière. Blotti contre le Dôme, un tout petit restaurant, “A la soupe merveilleuse”, distribue une soupe pour quelques centimes. Rezvani, Dmitrienko, Raymond Mason et les Lanzman (dont Rezvani épousera brièvement la sœur) déménagent sur le bord de la Seine dans un hôtel particulier Premier Empire en ruine. Les gravures sur bois de Rezvani illuminent le poète Monny de Boully, Aragon, Cocteau. Paul Eluard, sous le choc, lui demande de réaliser un livre avec lui. Tout va très vite. C’est encore une fois le tourbillon. Lula, une fille d’amiral, se sauve du domicile paternel pour le rejoindre. Elle a dix-neuf ans. C’est le grand amour. Exténués par le bruit infernal de leur appartement sur les boulevards extérieurs, ils partent en moto dans les bois de Verrières somnoler en imperméables dans les feuilles mortes. Dans leur agenda, il n’y a que « nous », « nous », « nous ». C’est alors qu’ils trouvent une maison italienne du siècle dernier, construite par un maçon piémontais, perdue en pleine forêt des Maures. Murs de pierres sèches, châtaigniers centenaires, sans eau ni électricité : un vieux colonel la leur cède. L’errant a trouvé son Graal. La maison s’appellera La Béate.

C’est là que je les ai rencontrés. Une soucoupe sur la terrasse, avec du beurre, pour la mésange. Mais le peintre subit l’assaut d’un véritable tsunami. Brusquement, il mure son atelier des dernières toiles, obsédé par la transformation de Pampelonne, la plage de rêve, défigurée par les envahisseurs. Il abandonne ses pinceaux pour l’écriture. Nourri d’insatisfaction, l’acte de peindre n’est plus divinatoire et s’efface devant l’acte d’écrire. Serge prend un nouveau départ avec “Les années Lumière” et “les Années Lula”. Il devient écrivain. Le roman d’amour de la vie de Serge se tient devant son œuvre, un paravent de Coromandel brodé d’oiseaux et de fleurs, et dérobe le courage infernal de sa création. « Le peintre offre sa vision à des voyants; alors qu’au contraire, l’écrivain raconte pour un aveugle ». Lula, allongée dans le hamac tendu entre le camélia arborescent et le palmier, le lit. Dans son livre d’entretien, Michel Martin-Roland dévoile avec une crudité religieuse le secret d’amour de toute création : « Quel qu’il soit, un livre masque une histoire secrète, familière et sentimentale liée à sa conception ». Beaucoup plus tard, Serge et Lula revinrent déjeuner chez nous à Saint-Tropez. Lula ne savait plus tenir une fourchette, ni rentrer dans la voiture de Serge. Il traversa l’enfer de son Alzheimer en amant-gardien. Il lui construisit la “Villa Lula” dont des gredins firent leur miel. L’homme désespéré devait l’enterrer sous un cerisier, celui de son enfance. Le forçat restait seul. Il allait rencontrer Marie-Josée Nat, l’exquise héroïne des “Gens de Mogador”, et vit aujourd’hui dans sa maison corse sur la falaise. Serge Rezvani a toujours volé sur les gouffres. Pardonnez-moi, je ne vous ai pas dit que ses chansons courent le monde. Le tourbillon, c’est lui.

C.D.

Voir également

 

Le tourbillon de ma vie, entretien avec Michel Martin-Roland, de Serge Rezvani, Ecriture, 250 p., 18,50 €.

 

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