Technique du coup d’éclat chez Malaparte

François Cérésa a fondé, et dirige depuis 2008, le mensuel…
Deux livres qui dénotent la cohérence d’un écrivain génial et paradoxal.
Curzio Malaparte a toujours rêvé de construire un livre à la manière d’une place. Une place italienne, bien sûr. Avec fontaine, statue, rues adjacentes, fraîcheur blanche, idées noires. Un spectacle animé, comme ces “Sacrés Toscans”, une comédie populaire, comme “Le soleil est aveugle”. Le soleil et la noirceur sont les deux mamelles de Malaparte. Ce dandy rutilant, passé du fascisme au communisme, a l’élégance désinvolte d’un Stendhal se régalant de l’ironie platonicienne. À travers tous ses livres, on le sent qui jubile. Il refuse de croire au monde moderne dans lequel on nous force à vivre. Cet homme du passé, parfois si présent, se fiche de l’avenir. Son indépendance annihile toute forme de militantisme. C’est un esprit libre. Aussi le lecteur se love-t-il dans ses facéties studieuses avec les délices d’un Arlequin travesti en Matamore. Dans “Italie barbare”, livre inédit et érudit, brindezingue, Malaparte, du haut de ses vingt-sept ans, qui trouve que Mussolini est un « ange », « brasse, à la manière d’un Malraux, des siècles de mouvements littéraires, artistiques, religieux et politiques pour les soumettre à ses intuitions, lancer des anathèmes et décerner des lauriers ». Il n’y va pas avec le dos du faisceau.
Nous sommes en 1922. Il est question de nationalisme littéraire sans concession et de retour aux valeurs rurales. Pourquoi pas, puisque Malaparte nous avertit : « Il faut se garder de ce qui vocifère et menace ». Très bien. On retient la leçon. Pour ce facho en herbe (qui ne restera qu’en herbe, mais souvent touffu), son pays est une nation de gentilshommes et de traîtres, de cœurs nobles et d’espions malveillants. Et aussi de « couilles molles ». On l’a compris, Malaparte aime dérouter. C’est son prurit. Ça le restera. A l’inverse, il est intéressant de lire “Journal d’un étranger à Paris”, publié en 1947, où le ton, complètement différent, est celui du bonheur et de l’anecdote, des métamorphoses chères à Ovide. C’est un journal, un dialogue, un coït avec Paris, où le maquis côtoie les marquis, où il faudrait être vieux pour commencer sa vie. On savoure la notion de balade, et pourquoi pas de ballade, où Jünger est encensé, où Camus n’a rien d’un étranger, où Orson Welles est parfois un troisième homme, où Saint-Germain-des-Prés fleure bon l’intelligence, la spontanéité, les parfums de la belle Véra Korène, l’argot de Carco et de MacOrlan. À la fin de l’ouvrage, Malaparte se compare à Châteaubriand. L’auteur de “René” avait Napoléon, l’auteur de “Kaputt” a Mussolini. Une fois de plus, on sent que Malaparte rigole. Malaparte ou Bonaparte ? Ce facétieux se moque de lui-même. Vrai ou faux ? On rit avec lui. Malaparte serait-il un d’Annunzio cabotin et cynique ? Ou simplement le génial Kurt-Erich Suckert (son vrai nom), un Frégoli impayable à l’âme de Mishima ? Bon sang, quel écrivain que ce sacré Toscan !
F.C.
Italie barbare, de Curzio Malaparte, traduction de Carolle Cavallera, Quai Voltaire, 186 p., 17 €.
Journal d’un étranger à Paris, de Curzio Malaparte, traduction de Gabrielle Cabrini, La Petite Vermillon, 360 p., 8,70 €.
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François Cérésa a fondé, et dirige depuis 2008, le mensuel de l’actualité romanesque « Service Littéraire », Le Journal des écrivains fait par des écrivains. François Cérésa est journaliste. Il a dirigé le Nouvel Observateur et rejoint Le Figaro. Il est critique gastronomique, chroniqueur sportif et écrivain. Il a reçu de nombreuses récompenses pour ses romans : les prix Paul-Léutaud (La Vénus aux fleurs, Robert Laffont), Jean-Freustié et Charles-Exbrayat (La femme aux cheveux rouges, Julliard), Joseph-Delteil et Quartier-Latin de la Ville de Paris (Les amis de Céleste, Denoël), Cabourg (Les moustaches de Staline chez Fayard).