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Un travail de Roumain

Un travail de Roumain

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La Roumanie est à l’honneur au Salon du Livre, voilà un de ses auteurs, Uricaru, ravagé par une mystique de bénitier.

Il y a cette lycéenne, Petra Meir, qui va retirer une pièce d’identité à la police de sa bourgade et qu’on pousse sans motif dans un wagon à bestiaux à destination de la Sibérie. Il y a Mariam Bek, la terrible chef du camp Dal’stroi 27, qui exécute un soldat accusé d’avoir engrossé la jeune déportée malgré les murs infranchissables qui séparent les prisonnières de leurs gardiens. Il y a l’horreur quotidienne du camp, traversé par une rumeur selon laquelle toute détenue enceinte sera libérée et renvoyée chez elle. Et il y a la miraculeuse délivrance de la pauvresse et son retour dans son village ravagé par les Soviets, lesquels semblent avoir étendu le Goulag aux dimensions de la Roumanie, son pays où règnent désormais la misère et la peur. Les choses se corsent lorsque la vierge accouche d’une sorte de messie capable de prédire la mort des gens, de prévoir la bonne combinaison du Loto et de multiplier, en guise de pains, les boîtes de conserve. Serait- il l’Élu ?

Le néo-rédempteur reçoit d’un vieux sage des Carpates une initiation spirituelle fondée sur quatre commandements, à savoir qu’il n’est pas bien de mentir, de donner de l’espoir, de parler et de s’opposer au mal, « ce qui ne signifie pas, tout de même, accepter ». Criblée de coq-à-l’âne qui en rendent la lecture harassante, cette mystique de bénitier sur fond de soviétisation à outrance compose un paysage pour le moins déconcertant. Un commentateur roumain a relevé qu’Eugen Uricaru, traducteur d’Italo Calvino qu’il semble vouloir imiter, «s’entoure d’une aura biblique, mais les deux personnages de la Mère et l’Enfant sont défigurés par les circonstances et représentent le maximum de sacralité autorisé sous le communisme». On pouvait rêver d’une illustration moins alambiquée du chaos spirituel où la férule stalinienne a plongé l’Europe de l’Est après la guerre. Ce pot-pourri à base de vin de messe, de non-violence et de folklore valaque nous est présenté comme le seul type d’idéal concevable par les âmes lessivées par la doctrine marxiste. Grand est le risque qu’on le confonde avec l’imaginaire même de l’écrivain, qu’on soupçonne de se réfugier dans cette sorte d’individualisme ésotérique pour supporter les cruelles défaites infligées par l’Histoire à son pays.
V.L.

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La soumission, d’Eugène Uricaru, Éditions Noir sur blanc, 496 p., 24 €.

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