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Vince Taylor, un sublime perdant du rock

Vince Taylor, un sublime perdant du rock

Gaignault ressuscite un rosbif rival de Johnny mort à 52 piges qui fut un mythe et jamais une star.

On le sait depuis longtemps : Gaignault a le goût des marges. C’est dans ces espaces circonscrits par l’alcool, la dope et les nuits blanches, qu’il rôde pour nous rapporter dans ses livres les portraits de superbes paumées, groupies de haut vol comme la Pallenberg ou la Faithfull, de vieilles copines à lui. Ces égéries magnifiques portent encore un peu de poudre au bout du nez, car Sister Coke (et Maréchal Joint aussi) traînait toujours dans leurs parages. Dans cette collection de loosers à la dérive, sûr que son Vince Taylor ne déparera pas. Il va même y figurer en sombre fleuron, tant il porte de ténèbres sur lui. Sans ses déhanchements, sa gestuelle féline, ses feulements, la légende du rock, dans ce qu’elle a de plus maudit, ne serait pas ce qu’elle est. Né en 1939, ce Londonien émigre à 6 ans avec ses parents dans le New Jersey. Un frère pilote d’avion, une sœur qui épouse Joe Barbera, roi du cartoon à Hollywood ; celui-ci va tout faire pour aider son jeune beau-frère qui, très vite, connaît tout d’Elvis, de Bill Haley et de Jerry Lee Lewis. Vince chante bien ; il le sait et n’hésite pas à se lancer. Son orchestre : les Playboys, avec Tony Sheridan, entre autres.

Beau garçon, il a le sens de la scène et de la mise en scène. Il tourne en Angleterre avec Eddy Cochran et Gene Vincent, en France avec les Shadows. Coquatrix le veut à l’Olympia. La jeunesse s’enflamme à son contact. Les filles fondent sous son regard de mascara et les garçons cassent tout. Eddie Barclay flaire en lui la bonne affaire. Départ en fanfare, donc. Mais c’est faire peu de cas de la part obscure de Taylor. S’abandonnant au soleil noir de l’alcool et des drogues, il échappe à l’autorité de Barclay qui, du coup, joue Johnny contre lui. Pendant des décennies, Vince va dégringoler puis renaître de ses cendres. Dès que ça marche pour lui, il se saborde, comme s’il avait peur de gagner. Cette crainte va ruiner sa carrière, et c’est cette crainte qui intéresse Gaignault, car elle fait tout l’intérêt et la profondeur du personnage. Il mourra à 52 ans, après une vie chaotique conduite au hasard, entre squats et palaces, minables salles des Fêtes et grands music-hall, abîmes et sommets. Vince accomplira cet exploit de devenir un mythe sans jamais avoir été star. Cet homme attachant, inconsolable, tragique et suicidaire, Gaignault en astique amoureusement toutes les facettes. Pas de doute, il réussit son coup : son Taylor est riche.
G.P.

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Vies et mort de Vince Taylor, de Fabrice Gaignault, Fayard, 200 p., 18 €.

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