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Zweig-Mann : deux suicidés vivifiants

Zweig-Mann : deux suicidés vivifiants

Numéro 76 – Littérature étrangère

 

La passionnante correspondance d’intoxiqués de la littérature de génération différente.

Entre l’illustre biographe que fut, que reste Stefan Zweig et l’héritier de Thomas Mann, son fils Klaus, écrivain né, lui aussi, s’établit sans peine un dialogue d’intoxiqués de littérature quand le cadet n’avait pas vingt ans. Attirance de deux générations et de tempéraments que rien de déterminant n’oppose, mais dont les contrastes de leurs natures respectives se nourrissent au long des années. Tous deux hommes de culture dont la patrie est, au sens camusien, la langue allemande, mais dont le prestigieux aîné fait le véhicule d’une réflexion qui se voudrait universaliste (ne fût-ce que par son trilinguisme) entre essais, biographies, pièces de théâtre, adaptations et l’autre, l’instrument d’un triple combat : pour s’imposer face au géant des lettres qu’est son père, l’auteur de “Mort à Venise” déjà Prix Nobel, pour affirmer son identité sexuelle dans un contexte si éloigné du nôtre, et s’affirmer lui-même comme un militant antinazi de la première heure. Par essence, Zweig est un dépositaire du meilleur de l’Histoire de l’Europe à travers ses grandes figures et ses légendes, mais aussi scrutateur de destins comme ceux de Balzac, Dostoïevski, Freud ou Messmer. L’avènement du nazisme, sa progression inexorable – ses livres seront brûlés dans le même autodafé que ceux de Thomas Mann – le désarçonnent profondément quand le jeune Klaus se découvre polémiste et fondateur de publications de combat dans ce qui devient leur condition commune, l’exil.

Lorsque Zweig met le mot Fin à son dernier livre, “Le Monde d’hier”, et va le poster à son éditeur, dans la villégiature du Brésil où il s’est retiré avec sa jeune femme, il sait que ce jour est le dernier de leur vie, puisque le couple se suicidera calmement le lendemain même, le 22 février 1942. Pour Klaus Mann, terriblement autodestructeur, assez courageux pour s’engager comme volontaire dans l’armée américaine, la défaite de Hitler, à laquelle il a passionnément participé, ne l’empêchera pas de tracer la sienne : replié à Cannes, un jour de pluie de mai 1949, la drogue et les pires abus auront raison de sa vie. Sa sœur, Erika, choisira dans l’un des quatre Évangiles une épitaphe digne de lui : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie la sauvera » (St-Luc, IX, 24). Devenu grand témoin, par son livre magistral, avec “Le Tournant”, il trouvera en lui ce courage de désespérer qui lui vient de René Crevel, son coup de foudre, et à son exemple, laissera les survivants que nous sommes appauvris et plus seuls par son départ.
A.M.

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Stefan Zweig-Klaus Mann, correspondance (1925-1941), traduction Corinna Gepner, établie par Dominique Laure Miermont, Editions Phébus 199 p., 17 €.

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